24.11.11

L’influence de la mode vestimentaire sur l’architecture

     


  Il n’y aurai pas de mode en architecture s’il n’y avait pas de mode vestimentaire. Cette influence a pour effet de convertir l’architecture en un phénomène, une tendance, et cela au détriment des usages et des besoins des hommes. Toute construction devient aujourd’hui une compétition, une médiatisation, une course à la renommé.


       Ce n’est pas un hasard si ce sont deux Italiennes qui ont écrit le seul livre pertinent sur les « archistars », car le système de la mode en Italie a largement contribué à la transformation de l’architecture en marque. Les architectes ont compris que le seul moyen d’échapper à l’anonyma et aux inégalités de la compétition était de profiter de la force de pénétration de la mode et de sa légèreté : personne n’attend qu’elle soit éthique et prenne en charge les problèmes de la société. Gabriella Lo Ricco et Silvia Micheli montrent bien comment Gehry, Koolhaas, mais aussi Nouvel, Calatrava et Fuksas ont réussi à percer grâce à des griffes de la mode qui ont fait de l’architecture une mode dans toute l’acception du terme : pas seulement les vêtements, mais aussi les tendances, décors et atmosphères. Le même phénomène s’était emparé des milieux de l’art à travers les galeries, les experts du marché – si ce n’est que pour les artistes il était primordial d’être reconnu de leur vivant et de créer le personnage avant l’œuvre, voire d’être eux-mêmes une œuvre. Ces efforts ont été épargnés aux architectes : ils ont simplement pris la place du vêtement dans la vitrine et sont devenus eux-même tee-shirt.
       Cette nouvelle donne a fortement influé sur le choix des matériaux utilisés : du gratte-ciel du New York Times de Renzo Piano au musée des SANAA dans Bowery, en passant par l’immeuble Versace de Fuksas à Tokyo, partout on adopte la grille enveloppante, la surface-maille, avec un effet « Portofino » ou « Riviera » qui laisse penser aux illustrations de Crochet Créations.
L’architecture devient tissu et trame, elle perd ses volumes concrets, se raréfie. Jean Nouvel promet des surfaces légères, des vitrages impalpables, pour signifier que l’architecture est bidimensionnelle et doit entrer dans les pages de papier glacé des revues. Frank Gehry prend une feuille, la froisse en boule, la montre à ses fidèles exécutants et leur dit : voilà ce que je veux. C’est sa façon de vaporiser de l’architecture, de laisser entendre que le packaging prévaut sur le produit. Il n’y a que Calatrava qui fasse preuve de pertinence, et, en effet, ses réalisations conviennent parfaitement aux publicités des marques automobiles.
       Cette évolution marque la victoire des revues. Peu importe que les surfaces ne correspondent pas aux espaces, et qu’à l’usage ces édifices s’avèrent décevants car inadaptés aux besoins. Avec l’aval de Jacques Chirac, Jean Nouvel transforme deux grands musées d’anthropologie en une succession de vitrines pour bijoux de collections, effaçant ainsi deux siècles d’études en un catalogue de vente d’objet d’art primitifs. Quai Branly, c’est le triomphe du shopping sur l’histoire des civilisations, la transformation d’un regard sur le monde en une visite chez Hermès, Faubourgs Saint-Honoré. Curieusement, les architectes ne se rendent pas compte que le prix à payer pour la « vitrinisation » de leur travail consiste en la mort de l’espace et du jeu avec les espaces.
       Tout comme Kenneth Frampton, Charles Jenks et Joseph Rykwert, je constate qu’on a hélas perdu de vue les problèmes cruciaux : comment rendre plus viable les villes, anticiper l’épuisement des ressources énergétiques, lutter contre le réchauffement climatique? Alors que le navire fait naufrage, les architectes qui, autrefois, savaient monter des charpentes, s’occupent maintenant des tapisseries. Le bateau coule, mais leur priorité consiste à peaufiner la décoration des salons d’apparat.
Il y a là également une certaine arrogance. Personne n’est aussi enclin à la colère avec Gehry, que John Silber, recteur de la Boston University, qui, en qualité de client, et de connaisseur, a écrit un livre où il montre, « Comment le génie a défiguré la pratique d’un art ». Gehry fut sollicité pour concevoir les laboratoires du Stata Center, le coeur de la recherche scientifique du MIT. Négligeant les indications des chercheurs, qu’il a enfermé dans ses fantasmagories: bulbes, espaces communs, tableaux joyeusement incurvés et transparences, là où les scientifiques ont besoin de l’intimité d’espaces multiples, contigus et clos.




Alexander McQueen & Sydney Opera House


Balenciaga & Guggenheim-Museum Bilbao


Bubble dress, Hussein Chalayan- P-wall, Andre Kudless


Prada Herzog & de meudon


Prada Herzog & de meudon - entrée


Prada Herzog & de meudon - intérieur



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